Extrait de l’article publié par P. Guigon, R. Lecrocq et D. Turgis dans le Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, t. CVII, 2003, p. 99-144.
Une lignée légendaire
Les origines légendaires de la suzeraineté de Montauban sur le Lou ont été rapportées par l’abbé Robert, à partir d’« anciens titres » issus de « papiers du Château du Lou du Lac », lus quarante-trois ans avant 1839, enterrés en 1793 dans deux barriques cachées sous la grange de la ferme du « Moron d’Ahaut » (le Haut Moron) en la Chapelle, et séchés devant une cheminée du château après une tempête qui décoiffa la grange[26] :« Le prince de Montauban ayant nommé un enfant au Lou, auquel il donna son nom, savoir Philippe du Lou ; “Je donne à mon filleul, le terrain qui se trouve entre la Rive et les vieilles Eglises du Lou, et la seigneurie du Lou. […] Origine de la Rive du Lou. A la même époque, c. à d. au temps de la donation faite par le prince Philippe, à son filleul, on travaillait à la Rive du Lou. D’où il résulta que son existence est de onze cent quarante ans, et il faut ajouter quarante trois ans. Ce qui fait onze cent quatre-vingt trois ans ». Ces traditions légendaires ramèneraient la création de la seigneurie du Lou à l’an 656 ou 657, c’est-à-dire au moment d’une soi-disant ambassade de saint Éloi auprès du roi Judicaël ; ne présentant guère qu’un intérêt historiographique, elles attirent l’attention sur l’origine discutée de la famille des Montauban, certains y voyant un ramage des Rohan, d’autres, et cela semble plus vraisemblable, un lignage issu d’un puîné des Gaël-Montfort. Amicie de Porhoët, fille d’Eudon II de Porhoët, apporta à son mari Guillaume de Montfort « la terre près le bourg de Saint-Éloi », données en 1152 lors de la fondation de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort. Le premier personnage explicitement qualifié de seigneur de Montauban est Olivier de Montfort, mentionné entre 1156 et 1171 en tant que témoin d’une charte de Conan iv en faveur de l’abbaye de Bégard, puis entre 1163 et 1180 comme dominus Oliverius de Monte Albano en tant que donateur pour Saint-Jacques de Montfort. Le premier Philippe qui fut seigneur de Montauban apparaît dans des actes rédigés en 1210 et en 1215 comme petit-fils d’Olivier ; il avait succédé à son père Amauri de Montauban vers 1228-1230, témoignant alors sous le nom de Domino P. de Montauban ou Philip. de Montealbano[27].
Les Méel, premiers seigneurs du Lou
La théorie d’une filiation des puînés de Montauban pour expliquer la dépendance du Lou envers cette seigneurie semble irréaliste : les Montauban s’allient en effet avec de grands seigneurs de niveau élevé, tels les comtes de Porhoët, et non avec de simples chevaliers. Il est possible que ceux-ci perdirent leur terre, rachetées ultérieurement par leurs puissants voisins. La date la plus ancienne de la dépendance du Lou envers Montauban est avec certitude septembre 1314 ; selon Guillotin de Corson « le baron de Montauban était de toute antiquité seigneur de la paroisse du Lou-du-Lac, où il possédait un fief important appelé la Verge noble du Lou. C’est en ce fief que fut construit le château du Lou, dont la seigneurie, s’étendant aux environs, relevait de Montauban ».
L’appellation honorifique de Verge noble s’applique au sergent de Montauban, dans la déclaration du 26 mars 1681 d’Anne de Rohan, dame de Montauban[28] : « Item, mad. dame a privilège immemoriale d’avoir un forestier en la forest franc de fouage, lequel s’appelle franc forestier, avec un sergent franc de fouage en la paroisse de Montauban, qui est le sergent de la Verge noble ; autre sergent en la paroisse de St Uniac ; autre franc en la paroisse du Boisgervilly, autre en celle du Lou, autre en la Chapelle du Lou, autre en Yrodouër, autre en Landujan, autre en Quédillac. – Outre, celui qui est seigneur d’un bailliage appelé la Jehannaye, situé en la paroisse du Bedescq, tient de mad. dame à privilège d’avoir un sergent franc de fouage en lad. paroisse de Bedescq, lequel bailliage appartient à escuyer Guy de la Lande sieur du Lou.Plus mad. dame a l’autorité et superintendance en l’assemblée de Quédillac qui est au jour de la Magdeleine, et le lendemain par ses officiers peut faire tenir sa cour, mesurer et estelonner les vaisseaux, et avoir les amendes sur les forfaicts, laquelle assemblée se tenoit autresfois au jour Saint-Sauveur. – Autre pareil privilège en l’assemblée de S. Uniac, qui se tient les jours et festes de S. Uniac et de S. Pierre. – Autre pareil privilège en l’assemblée et foire du Lou, aux jours S. Laurans et S. Barthelemy ».
Les Méel, des chevaliers à motte ?
Les premiers seigneurs du Lou connus avec certitude, dès l’origine les vassaux des Montauban, sont les Méel, tenants de ce lieu, du Lou et de la Massardière au Lou-du-Lac, du Domaine et de la Haye-Mangard en la Chapelle-du-Lou. Un sceau de 1378 montre les armes, peut-être parlantes[29], de l’écuyer Eon de Méel, sept merlettes, 4. 2. 1, signalées en 1586 sans être alors identifiées sur une pierre tombale en l’église paroissiale de la Chapelle. Leur noblesse est confirmée lors des réformations et des montres réunis entre 1444 et 1513 ; la dernière héritière, Jeanne Le Meil ou de Vieil, Méel selon l’orthographe moderne, peut-être la fille d’Olivier de Méel, épousa Arthur de la Lande. Ce personnage fut gouverneur de la Gravelle à la suite d’Olivier de Méel, décapité en 1451 comme l’un des responsables directs de l’assassinat de Gilles de Bretagne[30].
Selon un acte de 1453 retranscrit en 1779, Jan Demel Coê Juveigneur d’aîné en ligence, rendit aveu au seigneur de Montauban des hôtels terres et maisons nommés le Domaine, en la Chapelle. Jan Demel seigneur du Lou est le premier personnage explicitement désigné comme tel, dans un aveu du 25 janvier 1423 également retranscrit au XVIIIe siècle, un la Houssaye de prénom inconnu et à l’origine de cette dernière famille étant alors son juveigneur d’aîné. Toujours d’après cette transcription du XVIIIe siècle, il est possible de remonter d’environ un siècle dans les origines des Méel, en avril 1329[31] : « tennement d’un Prin Le taillandier donné a foy a thomasse hayeste d’un herbergement maison et courtil… contenant ensemble deux journaux de terres ou environ bitant d’un costé à la terre Raoul joube et d’autre costé a l’église du lou. Item a foy Lauberge qui jadis fut prot Gault contenant le vie d’un journal de terre ou environ bitant a la terre jan Gedoüin, et d’autre au chemin coêloui va de l’église du lou à mon hotel. Item une piece de terre nommée le Champ de la Croyx contenant un journal & le tiers d’un journal… Bitant d’un costé à la terre ….. demell d’autre costé a la terre audit Gedoüin. Item une piece de terre nommée [blanc] contenant le tiers d’un journal bitant d’un costé la terre bon de mell et d’autre a l’eglise du lou. Item une autre piece nommée le Pré juhel contenant les deux parts d’un journal ou env. bitant d’un costé a la terre de Rouaud… Sur tout quoi en du deux [ ?] & maille de Rente amendab. aujour et fete 17 # a la St nicolas et 8 # amende au jour de Noël a deffaut de payement à Noël et la St Nicolas. Le dit Taillandier devoir au terme d’aoust pour sailler, 5 deniers de rente 2 corvéens, 2 gélines ».
Le Champ de la Croyx désigne probablement la Croix-du-Lou, métairie noble en 1513, à 200 m à l’ouest de l’église. L’hotel de Thornasse Hayeste est le Plessis-Hyette en la Chapelle, devenu le 7 octobre 1674 le Plessis-Botherel[32]. La lecture « bon de mell » est certaine ; plutôt que d’y voir un nom de lieu tel Boudemel, village de Bédée à 1400 m au sud-sud-est de l’église paroissiale de cette commune, peut-être Boudinel en 1710, il semble préférable de l’assimiler à un nom de personne, comme pour toutes les parcelles citées par cet acte. Dans un premier temps le lecteur de 1779 ne réussit pas à lire le nom de la terre de Méel, laissant des points de suspension ; il proposa « bon de mell » peut-être pour l’Eon de Méel de 1378, plus probablement pour son père qui aurait porté le même nom.
Motte et maison-forte
Les Méel, famille de chevaliers, possédaient vraisemblablement dès les XIe-XIIe siècles des droits sur l’église et résidaient probablement alors sur l’une des mottes mentionnées par l’aveu de 1681, « la maison du Lou, H. J., logis, estang, douves, bois, moulin, rabines, mottes, colombiers, garennes ». En 1513 une réformation de l’évêché de Dol mentionne au Lou une métairie de la Motte appartenant à Jehan de Launay, ainsi qu’un Olivier de la Motte, propriétaire de la « métairie de la Vieuville »[33]. Au côté sud-ouest du lac, une butte oblongue nommée par le cadastre de 1835 « La butte des mafray », haute d’environ six mètres et dont les diamètres à la base sont compris entre vingt et trente mètres, est entourée d’un fossé large d’environ 2 m, profond d’environ 1 m et approvisionné en eau par la Rive. La prairie ovale dite « Pré des mafray » en 1835, donnant sur l’étang et entourée de restes de talus, semble être la basse-cour de cette motte, qui ne doit pas être confondue avec les rejets de terre provenant de l’ancienne exploitation de calcaire coquillier et installés au sud de « La petite rive »[34].
Une autre éminence, « Le clos de la motte » en 1835, connue localement sous l’appellation « la Butte aux Renards », existait jusqu’à sa destruction entre 1925 et 1930 dans le village de la Fertais, à la limite du Lou et de Bédée, où le cadastre de 1844 le dénomme presque toujours « La Fertaye », avec une occurrence unique « La Ferté », nom découlant du latin firmitas, « lieu fortifié » ; peut-être s’agissait-il seulement de l’une des garennes mentionnées en 1681, tout comme le tertre situé entre le lac et la Croix-du-Lou, dit en 1835 « La butte », également détruit entre 1925 et 1930. Seules des fouilles archéologiques et des prospections systématiques permettraient de proposer une chronologie fine de ces sites terroyés, ainsi que de déterminer les rapports qu’ils entretenaient entre eux et avec la « Butte du Château-Gaillard », petite éminence circulaire ainsi nommée par le cadastre de la Chapelle en 1835 mais déjà connue sous cette appellation le 11 octobre 1756, malheureusement détruite en 1987[35].
Il est possible que les Méel aient occupé ensuite un herbergement semblable à celui mentionné en 1329, terme qui à cette époque peut déjà désigner un manoir, hotel, mais également encore un site fossoyé telle une maison-forte entourée de douves ennoyées ; l’hebergamentum, initialement une tenure liée au défrichement, finit par désigner au XIIe puis au XIIIe siècle, un centre d’exploitation rurale, voire un séjour noble[36]. Le déplacement de la motte à la maison-forte a pu s’effectuer au bas Moyen Âge, mais rien ne semble remonter à cette période, pas même la tour, contemporaine du château de 1571.
Figure 3 : cadastre du Lou-du-Lac, 1835 (feuille A, dite du Bourg)
[26] Méance, M., 1884, op. cit., p. 1-3.
[27] Bellevüe, Xavier de, « Maison de Montauban. Origine. Généalogie », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique du Département d’Ille-et-Vilaine, t. XXVII, 1898, p. 129-177 ; Bunouf, Maurice, Montauban-de-Bretagne, Rennes, La Presse de Bretagne, 1983, p. 20-21, 25-28 ; Chédeville, André, et Tonnerre, Noël-Yves, La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, Rennes, Ouest-France, 1987, p. 157 ; La Borderie, Arthur de, et Villers, Louis de, « Essais d’histoire féodale. La seigneurie de Montauban et ses premiers seigneurs », Bulletin et Mémoires de la Société archéologique du Département d’Ille-et-Vilaine, t. XXIV, 1895, p. 267-297 ; La Borderie, A. de, « Origine de la seigneurie de Montauban et de ses seigneurs. Réponse à M. de Bellevüe », Rennes, 1898 ; Mauny, Michel, de, Le château et les seigneurs de Montauban-de-Bretagne, Saint-Germain-en-Laye, chez l’auteur, 1969 ; Morice, H., 1742-1744, op. cit., t. I, col. 613-615, 634, 783, 819, 829-830, 866 ; Paz, Augustin du, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne. Enrichie des armes et blasons d’icelles, de diverses fondations d’Abbayes & de Prieurez, & d’une infinité de recherches ignorées jusqu’à ce temps, & grandement utiles pour la cognoissance de l’Histoire, avec l’histoire chronologique des Evesques de tous les Diocèses de Bretagne, Paris, N. Buon, 1619, p. 536-544.
[28] Guillotin de Corson, A., 1884, op. cit., t. V, p. 100-103, 249-252 ; Guillotin de Corson, A., Les grandes seigneuries de Haute-Bretagne. Deuxième série. Les baronnies, comtés & vicomtés compris dans le territoire actuel du département d’Ille-et-Vilaine, Rennes, J. Plihon et L. Hervé, 1898, p. 270-275 ; La Borderie, A. de, et Villers, L. de, 1895, op. cit., p. 280 ; Mauny, M. de, 1969, op. cit., p. 30.
[29] Pastoureau, Michel, Traité d’héraldique, Paris, A. et J. Picard, 1979, p. 150-151.
[30] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 E b 58 (partage entre François Botherel, seigneur du Plessix, et son puîné Fiacre Botherel des Courogers, 1677-1692 ; « contestation entre la famille Botherel et Mr de Guémenée, cy devant comte de Montauban, relative aux droits qu’ils avaient dans l’église de la Chapelle-du-Lou) ; Couffon de Kerdellech, André de, Recherches sur la chevalerie du duché de Bretagne […], Nantes, V. Forest et É. Grimaud, Paris, Dumoulin, 1877, t. I, p. 536, t. II, p. 271 ; Fabre, Martine, Héraldique médiévale bretonne. Images personnelles (vers 1350-1500), armoriaux, sceaux, tombeaux, étude et corpus, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 1993, t. II, p. 392, n° 3900 ; Morice, H., 1742-1744, op. cit., t. II, col. 186, 191, 390 ; Nantes, R. de, 1894, op. cit., p. 148 ; Potier de Courcy, Pol, Nobiliaire et armorial de Bretagne, 4e éd. [réimpression de la 3e éd. de 1890], Mayenne, J. Floch, 1970, t. II, p. 256.
[31] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 E b 68 (papiers de la famille Botherel du Plessis, procès contre Aubert du Lou).
[32] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, fonds La Borderie, 1 F 1556.
[33] Bossard, P., s. d., op. cit., t. I, p. 230 ; Le Moing, J.-Y., 1990, op. cit., p. 331 ; Nantes, R. de, 1894, op. cit., p. 148.
[34] Banéat, P., 1927, op. cit., t. II, p. 305 ; Brand’honneur, Michel, Les mottes médiévales d’Ille-et-Vilaine, Rennes, Institut culturel de Bretagne, Centre régional d’Archéologie d’Alet, 1990, p. 71 ; Duval, Michel, « Le Lou-du-Lac », Bulletin de l’Association bretonne, 3e série, t. 78, 97e Congrès à Montfort, les 5, 6 et 7 juillet 1969, Saint-Brieuc, Les Presses bretonnes, 1970, p. 26-27.
[35] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 35 J 16 (fonds du comte de Botherel) ; Arch. com. La Chapelle-du-Lou, cadastre de 1835, feuille B 2, dite du Bourg (parcelles 473-474 La Janaye de la motte et 475 Le clos de la motte) ; Brand’honneur, M., 1990, op. cit., p. 54 ; Lecrocq, R., « Le Lou du Lac… La Chapelle du Lou. Le fond des âges », Glanes en Pays Pourpré, n° 3, 1er trim. 1983, p. 16.
[36] Renoux, Annie, Mottes et habergements fossoyés dans le Maine (xie-xve siècle) ; état de la recherche, dans Mondes de l’Ouest et villes du monde. Regards sur les sociétés médiévales. Mélanges en l’honneur d’André Chédeville, textes réunis par Catherine Laurent, Bernard Merdrignac et Daniel Pichot, Rennes, Presses universitaires de Rennes / Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 1998, p. 399-414.