Extrait de l’article publié par P. Guigon, R. Lecrocq et D. Turgis dans le Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, t. CVII, 2003, p. 99-144.
La Révolution et l’Empire
Le 19 juin 1794 à minuit, jour de la Fête-Dieu, une messe fut célébrée « à la chapelle du château du Loû » pour les fidèles des paroisses environnantes par un prêtre réfractaire, l’abbé Tostivint, assisté de quelques confrères proscrits ; les Chouans, qui attendaient de pied ferme les soldats de la République en surveillant les douves et les ponts, les repoussèrent et obligèrent même certains à se jeter dans la Rive[80].
Guy-Marie-Joseph étant décédé au Lou en 1784, son frère cadet Jean-Julien-Prosper Aubert (né le 12 mars 1746) lui succéda comme seigneur du Lou ; « ci-devant major de vaisseaux », il fut inscrit sur liste des émigrés le 7 pluviôse an II, et écarté de la succession des biens de son oncle maternel La Motte-Picquet, « vendus nationalement » de l’an IV à l’an VI. Reine-Thérèse Le Clavier (prudemment prénommée « Anne-Thérèse » le 19 floréal an III) protesta auprès du District de Montfort-la-Montagne, puis en appel devant celui de Rennes, arguant que son beau-frère ni aucun Aubert du Lou-Trégomain n’avaient quitté le territoire national ; l’administration communale de Montauban lui délivra le 6 ventôse an VI des certificats attestant qu’elle « a toujours résidé et réside avant et depuis la Révolution à la Maison du Lou, commune du Lou du lac sans aucune interruption ». De fait Jean-Julien-Prosper n’avait pas émigré, car très malade il résida secrètement chez sa belle-sœur depuis le 8 mai 1792 jusqu’au derniers jours de frimaire an V, quittant son château pour mourir à Rennes le 14 nivôse an V dans son ex-maison de Sauvé, rachetée les 6 brumaire et 30 frimaire an V par Guy-Victor-Uniac Huchet de Quénétain, petit-fils de René-Julien Huchet de Quénétain, époux en 1731 de Marie-Thérèse-Guyonne Aubert, fille du premier lit de Guy-Jean Aubert et de Thérèse-Patrice Bourdays[81]. En thermidor an XI Charles Aubert du Lou et Marie-Jeanne-Thérèse Aubert résidaient à Rennes. Le 1er février 1826, plusieurs neveux et petits-neveux de Jean-Julien-Prosper domiciliés rue Volvire à Rennes chez Louis-Jacques-Ange de la Motte de Broöns de Vauvert (1772-1832), époux en 1806 de Marie-Jeanne-Thérèse, demandèrent des indemnités pour leurs biens vendus par l’État au préjudice de ces soi-disant émigrés[82]. Les Aubert ne résident alors plus au Lou, tout en conservant encore en 1835 des biens en La Chapelle, le Bas Moron et le Haut Moron notamment[83] ; ils avaient vendu après la Révolution le château à une famille Boulanger qui n’y habitait pas à l’époque du « collège du Lou ». Ce premier séminaire du diocèse de Rennes après le Concordat fut installé au Lou-du-Lac entre 1802 et 1810, avant son implantation à Saint-Méen-le-Grand ; sous la direction des abbés Texier puis Mathurin Bédel, recteurs de la paroisse, il accueillit jusqu’à cent cinquante élèves, installés dans les fermes environnantes, leurs professeurs résidant au château, les cours ayant lieu au presbytère. Les anciens séminaristes en conservaient un souvenir ému : « Nous n’entendions d’autre bruit que le chant harmonieux des oiseaux, quelles bonnes études nos faisions, dans les grandes avenues du vieux château ou sur les bords du lac tranquille qui a donné son nom à l’église du lieu, quelle excellente direction nous recevions de nos maîtres aussi pieux que savants ! ». Associés à Marie de Freslon de La Freslonnière ils offrirent à l’église ses deux cloches, en 1845 Marie-Joseph, refondue en 1898, et en 1852 Emilie-Guillemette[84].
Le XIXe siècle
Adélaïde-Marie de Lorgeril (Saint-Brieuc, 8 novembre 1821, Saint-Étienne-de-Montluc, 12 septembre 1883), fille d’Alexandre-Armand-Stanislas de Lorgeril (1790-1825) et de Victorine-Sainte de La Moussaye (1790-1857), épousa le 11 mai 1841 Alexandre-Joseph, comte de Freslon de La Freslonnière (Nantes, 11 novembre 1816, Bains, 16 juin 1906). Le contrat de mariage entre les deux époux décrit le 7 mai 1841 la dot de la jeune femme[85] : « Art. 5 Madame de Lorgeril déclare que Mademoiselle sa fille se marie avec les droits mobilier et immobilier qui lui sont échus de la pension de Mr de Lorgeril, son père, qui sont restés indivis entre les deux dames comparant et Monsieur Victor-Marie-Émile de Lorgeril, leur fils et frère encore mineur. Et pour lui tenir lieu de ses droits Madame de Lorgeril assigne à la dlle future Epouse, pendant qu’elles resteront dans l’indivision, la jouissance de la moitié de la Terre du Lou, située dans la commune du Lou, de la Chapelle du Lou et de Bédée, acquise depuis son veuvage, avec les avantages et les charges attachés à cette jouissance. La demoiselle future Epouse recevra donc chaque année la moitié du fermage de la dite terre, à commencer à la Saint Michel prochaine […] la terre du Lou évaluée sept mille francs de revenu brut ».
L’acquisition de la « Terre du Lou », postérieure au décès d’Alexandre de Lorgeril le 22 mars 1825, était effective au 1er avril 1834 ; en 1835 ils possédaient également des maisons au bourg de La Chapelle ainsi que la « Butte du Château-Gaillard »[86]. Le partage des biens fut effectué entre les deux héritiers de Lorgeril, Adélaïde et Victor, « à une époque que les parties ne peuvent préciser aujourd’hui », c’est-à-dire le 8 mars 1884 ; en ce jour Alexandre-Joseph Freslon de La Freslonnière partagea ses biens entre ses quatre enfants[87]. La minute précisant l’origine de la propriétés décrit précisément la « Terre du Lou du Lac », plus de 42 ha recouvrant sur les communes de Bédée, de La Chapelle et du Lou-du-Lac, les métairies de la Croix-du-Lou, des Vieux-Villes, de la Forge, de l’Auberge et du Moulin à eau du Loû, du Petit Tufour, du Grand Tufour, de Launay, de Trégomain et de la Haye-Mangeard, le tout estimés à une valeur de 415 000 francs ; ce lot fut attribué à Marie-Victorine. Sa mère avait par préciput fait donation irrévocable du château à son frère, Roger-Marie-Louis (né le 20 février 1846), lors de son mariage avec Marie-Hermeline-Charlotte-Cécile Maillard de La Gournerie, d’après leur contrat de mariage devant Me Fleury et son collègue, notaires à Nantes, le 21 avril 1873. Cette donation se constituait du « vieux château du Loû situé en la commune du Loû du Lac, avec la cour, les bâtiments qu’elle contient, les tours, les douves, et le parterre, le tout compris sous les articles 9. 10. 11 et 12 de la section A du plan cadastral de la dite commune ».
Le château passa ensuite à sa sœur Marie-Victorine-Alexandrine (Le Rheu, 3 novembre 1858, épouse le 30 août 1881 Georges-Charles-Louis-Marie Le Maignan de l’Ecorce, décédée le 5 mai 1907), laquelle le donna à son neveu Henri-Marie-Joseph-Louis-Stanislas, vicomte de Freslon de La Freslonnière (né le 18 avril 1882)[88] par son testament olographe du 7 mai 1906 déposé aux minutes de Me Guillemot, notaire à Rennes, le 8 mai 1907 : « Je déclare instituer, pour mon légataire universel, mon neveu et filleul, Henri de Freslon, sous la réserve de legs particulier que je fais, ci après. Je lui fais cet avantage pour le remercier, d’abord, de l’affection qu’il m’a toujours témoignée et pour l’aider à s’arrondir, autour de la Freslonnière, qui lui est destinée » [89].
Pour élargir le chemin à l’ouest du château, menant à Montfort, classé voie vicinale à partir de 1834, et au bord de laquelle fut construite la mairie-école, le préfet autorisa la commune à abattre un mur enclosant une partie de ce chemin appartenant à Mme de Lorgeril ; la destruction de l’aile sud du château ouvrit le passage vers la nouvelle route, et l’entrée située à l’arrière du château devint ainsi son principal accès. L’aile de 1571 avait déjà failli être démolie peu de temps après le 31 août 1851, lorsque les de Freslon de la Freslonnière proposèrent à la municipalité « 4 000 F en argent et 120 m3 de pierre de moellon et 4 poutres à prendre dans le matériau de démolition du vieux château » pour construire une nouvelle église à côté de l’école afin de former un bourg, projet qui n’aboutit jamais. Les habitants du Lou ont « toujours entendu dire » qu’un incendie avait ravagé le château, à une époque qu’ils ne peuvent déterminer ; aucune trace de rubéfaction n’est visible, mais seul le mur mitoyen de l’aile disparue de 1571 aurait pu souffrir. Cette partie ancienne n’était plus entretenue, d’après le témoignage de l’abbé Méance en 1884 : « Nous avons vu encore debout la partie du château, qui est tombée en 1877, au sud, et la grande grande [sic pour grange], au sud de la cour de devant, et le pont communiquant avec le cimetière et leur jardin, sur la douve à l’est de notre Eglise »[90].
Curieusement, à en croire Guillotin de Corson en 1884, l’ancienne bâtisse était encore visible : « Ce qui reste du château du Lou mérite une visite. Au milieu d’une enceinte fortifiée, flanquée de trois tours en ruine, se dresse un manoir portant la date de 1571 et les écussons de la famille de la Lande ». De façon amusante il reprit ce témoignage encore en 1895, ce qui laisse à croire qu’il n’était pas revenu sur place depuis longtemps : « Le château occupe au bord du bel étang de la Rive et à côté de l’antique église romane du Lou-du-Lac une remarquable position. Malheureusement, une bonne partie des constructions primitives ont disparu ; néanmoins, au milieu d’une enceinte fortifiée de forme carrée, baignée en partie par l’étang et flanquée de trois tours en ruine recouvertes de lierre, se dresse fièrement encore le logis seigneurial construit partie en 1571 et partie en 1657 ; ces dates sont en effet gravées dans le granit au-dessus des portes principales […] Au-delà des douves s’élève l’ancienne fuie, conservant sa litre seigneuriale. Ajoutez à cette trop courte description çà et là des pans croulants de murailles fortifiées, et au-devant du logis de larges et longues avenues d’arbres séculaires, et vous n’aurez encore qu’une faible idée de l’imposant aspect que présente le vieux château démantelé du Lou »[91].
Le XXe siècle : « chez Marie »
Le vicomte Henri-Marie-Joseph-Louis-Stanislas Freslon de La Freslonnière vendit en mai 1924 la « tourelle se trouvant près le cimetière » ainsi que l’étang à Émile-Victor-Félix Guyard[92], et le 27 mai et le 24 juin 1924 le château, pour quinze mille francs, à l’abbé Eugène Legault, recteur du Lou du 21 mars 1920 à sa mort le 20 juillet 1924[93]. Par son testament olographe du 1er juillet 1923 ce dernier avait cédé la bâtisse à ses nièce et neveu demeurant à Montauban, Eugénie-Anne-Marie Legault et Pierre-Marie-Constant Legault, lesquels le vendirent les 12 et 20 octobre 1924 aux époux Berthier qui tenaient un café-tabac à la Ville-Piron[94]. Madame Berthier tenait le café, après la décision prise en août 1925 par le conseil municipal revenant sur un arrêté de 1907 imposant une distance de 100 m entre l’église et un débit de boisson, et la rabaissant à 30 m[95]. Ferdinand Berthier (1881-1945), compagnon forgeron, édifia contre le mur sud du château, à l’emplacement de l’aile de 1571, une forge, en récupérant des blocs de granite provenant des piliers marquant l’ancien accès principal. La forge continua d’être exploitée après le décès du patron jusqu’en 1957 par son ancien ouvrier, Jean Aubry, lequel louait une chambre au château en compagnie de plusieurs locataires de passage, dont pendant quelques années André Jan, instituteur au Lou depuis sa sortie de l’École normale en 1947 jusqu’à la fermeture de l’école communale en 1970. Le confort était plutôt spartiate, ce que notait déjà l’abbé Méance en 1884 : « L’intérieur du château demanderait beaucoup de réparations, comme l’extérieur, pour devenir bien logeable. Cependant il y a encore salles, cuisines, chambres, etc. »[96].
Marie Berthier, succédant à sa mère Marie Martinais (1884-1958), tient au château un café faisant également office de tabac, d’épicerie, et une petite exploitation agricole, quelques vaches logeant dans le niveau de soubassement… : ainsi survit le dernier commerce du Lou-du-Lac, certainement l’un des plus pittoresques de toute l’Ille-et-Vilaine[97].
Figure 19 : Marie Berthier devant son château (cliché Johannes Von Saurma, 1993)
[80] Boishamon, Charles-Joseph du, Marcie, Paris, Téqui, 1877 ; Brugalé, René, « De Médréac à Langan. Sur les traces de Gabillard », Glanes en Pays Pourpré, n° 64, 3e trim. 2001, p. 24 ; Lecrocq, R., « La garde nationale de Montfort et les combats du Lou », Glanes en Pays Pourpré, n° 22, 4e trim. 1989, p. 33 ; Neveu, Emmanuel, La Chouannerie, Saint-Hilaire-du-Harcouët, Lechaplais, 1972, p. 32-34.
[81] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Q 406 (procès verbaux d’expertise des ventes – Rennes, 2e origine, achat par Guy-Victor-Uniac Huchet de Quénétain de la retenue et de la ferme de Sauvé en Rennes) ; Frotier de la Messelière, H., 1912-1924, op. cit., t. III, p. 112.
[82] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Q 921 (biens de deuxième origine : émigrés, détenus, suspects, Aubert du Lou [Jean Julien Prosper] et Aubert de Trégomain [Marie Joseph Claude], frères, bordereau d’indemnités) ; Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Q 1012 (biens de deuxième origine, émigrés, détenus, suspects, de la Motte-Picquet, succession d’Anne Thérèse Le Clavin [sic], veuve Aubert du Lou, héritière) ; Frotier de la Messelière, H., 1912-1924, op. cit., t. IV, p. 122.
[83] Arch. com. La Chapelle-du-Lou, cadastre de 1835, états des sections.
[84] Bunouf, M., 1983, op. cit., p. 132-133 ; Guillotin de Corson, A., Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, Rennes, Fougeray, Paris, R. Haton, 1882, in-8°, t. III, p. 552, 1884, op. cit., t. V, p. 103 ; Lagrée, Michel, Mentalités, religion et histoire en Haute-Bretagne au XIXe siècle, le diocèse de Rennes, 1815-1848, Paris, G. Klincksieck, 1977, p. 192-193 ; Méance, M., 1884, op. cit., p. 3-5 ; Vigoland, E., « Variétés. Un petit séminaire de campagne au commencement du xixe siècle », Semaine religieuse du Diocèse de Rennes, 32e année, 22 février 1896, n° 20, p. 327-329, 29 février 1896, n° 21, p. 343-345, 14 mars 1896, n° 23, p. 379-381, 21 mars 1896, n° 24, p. 397-398 ; Villério, Maurice, « M. l’abbé Meslé, curé de Notre-Dame », Semaine religieuse du Diocèse de Rennes, 9e année, 7 juin 1873, n° 32, p. 499.
[85] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 3322 (Arch. not. Me Terrien, Rennes).
[86] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, G (registre de délibérations du conseil de fabrique du Lou-du-Lac, 27 janvier 1763 – 5 mars 1792) ; Arch. com. La Chapelle-du-Lou, cadastre de 1835, matrices cadastrales.
[87] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 9/243 (Arch. not. Me Guillemot, Rennes, minute n° 131).
[88] Frotier de La Messelière, H., 1912-1924, op. cit., t. II, p. 385-387, t. III, p. 535, 613-614.
[89] Arch. not. Me Bagot et Me Torché, Rennes.
[90] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, G (registre de délibérations du conseil de fabrique, 27 janvier 1763 – 5 mars 1792) ; Méance, M., 1884, op. cit., p. 157.
[91] Guillotin de Corson, A., 1884, op. cit., t. V, p. 101, n. 3 ; Guillotin de Corson, A., 1897, op. cit., p. 281.
[92] Coll. particulière, acte de vente de la tour et de l’étang.
[93] Arch. dioc. Rennes, « Registre de la paroisse de la Chapelle-du-Lou, canton de Montauban, diocèse de Rennes, commencé le 9 juin 1839 par l’abbé Robert », p. 147 ; Semaine religieuse du Diocèse de Rennes, 60e année, 26 juillet 1924, n° 30, p. 692-693.
[94] Arch. not. Me Pinson, Montauban (vente du château du Lou-du-Lac par Eugènie et Pierre Legault aux époux Berthier les 12 et 20 octobre 1924 en l’étude de Me Martin).
[95] Arch. com. Le Lou-du-Lac, registre des délibérations du conseil municipal, 9 août 1925, p. 13.
[96] Méance, M., 1884, op. cit., p. 158.
[97] Saurma, Johannes Von, et Marcon, Gaby, Chez Marie. Le petit commerce rural en Haute-Bretagne, Rennes, Rue des Scribes, 1993, p. 26-35.