Article publié par Philippe Guigon dans les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. XCIV, 2016, p. 635-642
Généralités
Le Lou-du-Lac est implanté sur la ligne de partage des eaux entre la Manche et l’Atlantique ; l’exutoire du plan d’eau, un sous-affluent de la Rance, traverse le synclinorium médian de la Bretagne[1]. Les déformations tectoniques du Tertiaire, suivies des transgressions marines de la fin du Pliocène, amènent des dépôts et des sédiments calcaires exploités en ce lieu depuis un millénaire, comme moellons dans l’église paroissiale, et comme sablon pour l’amendement des sols, au moins jusqu’en 1711 ; un carnet de compte ayant appartenu à Gabriel de La Lande, seigneur du Lou de 1710 à 1713, indique que cette année ses fermiers lui devaient des versements en nature, dont du sablon, estimés à plusieurs dizaines de livres. Ainsi s’explique la bigarrure des constructions du Lou, employant à la fois cette « pierre de jauge », mais aussi et surtout du schiste briovérien (dont les carrières ne sont pas à ce jour localisées), ainsi que du granite de Bécherel et parfois des schistes et grès rouges du pays pourpré.
Comme les paroisses voisines de La Nouaye, Saint-M’Hervon et Saint-Uniac, dont elle partageait la très modeste superficie, Le Lou-du-Lac était, probablement depuis le haut Moyen Âge (entre le milieu du VIe siècle et le milieu du IXe siècle ?) et le resta jusqu’à la Révolution, une enclave du diocèse de Dol dans celui de Saint-Malo, paroisse jusqu’à sa fusion le 8 avril 1951 avec celle de La Chapelle-du-Lou : ceci préfigurait en quelque sorte la constitution de la nouvelle entité communale dénommée La Chapelle-du-Lou-du-Lac. Ainsi prit fin, le 1er janvier 2016, une très longue et originale histoire, attestée tout d’abord par son nom, dont le premier terme, Lou, dérive indubitablement du vieux-breton loch, « lac ». L’apparente tautologie de sa version actuelle découlerait de la forme attestée en 1314, le Lou Lieuc, précédée d’un article a priori introduit seulement à l’époque romane, et qui pourrait signifier « étang limoneux ». Même si des formes Le Loup existent durant l’Ancien Régime, il semble qu’une légende toponymique indatable ait introduit le culte de saint Loup en ce lieu (à noter qu’il est cependant le patron de l’enclave doloise de Lanloup en Goëlo, Côtes-d’Armor), en supplantant un dédicataire inconnu (fig. 1 et 2).
Figure 1 : Le Lou-du-Lac (cl. Maurice Gautier, 2009)
Figure 2 – Détail du cadastre du Lou-du-Lac, 1835, section A du Bourg (archives départementales d’ Ille-et-Vilaine, 3 P 5387)
L’ancienne église paroissiale Saint-Loup
En dépit de sa proximité d’avec le château, l’église était bien celle de la paroisse, et non la chapelle castrale, ce dont témoignent quelques frictions à propos de limites territoriales survenues au XVIIIe siècle entre le seigneur prééminencier, qui bénéficiait de deux dalles funéraires, et la fabrique. L’église originelle se compose d’une nef rectangulaire séparée d’un chœur rectangulaire à chevet plat par un arc triomphal, légèrement outrepassé et reposant sur des tailloirs simples. La maçonnerie, principalement constituée de plaquettes de schiste disposées en opus spicatum, englobe plusieurs fragments de terres cuites, briques, tegulae et mortier de tuileau, matériaux antiques extraits probablement d’un bâtiment peu éloigné ; en proviendrait également la colonne à l’astragale solidaire du fût, remployée en bénitier, du même modèle que celle conservée à proximité immédiate de l’église paroissiale de La Chapelle-du-Lou. Du calcaire coquillier est utilisé pour les harpages de la nef et du chœur, ainsi que pour les claveaux des quatre fenêtres percées en position haute dans chacun des murs nord et sud de la nef et du chœur, ouvertures larges et peu ébrasées vers l’intérieur : toutes ces caractéristiques techniques convergent pour dater du début du XIe siècle les parties primitives de l’église (fig. 3).
Les XVe-XVIe siècles voient plusieurs modifications, comprenant sans doute une nouvelle charpente. Dans le chœur, la maîtresse-vitre fut percée ou élargie, et une nouvelle porte ouverte au sud. Dans la nef s’ouvrirent une porte, ainsi que deux larges fenêtres en position basse remplaçant les baies anciennes, alors obturées. Enfin, la porte occidentale fut modifiée et précédée vers l’ouest d’un chapitreau, qui reçut entre 1639 et 1774 les corps de 119 personnes, essentiellement des enfants. À la fin du XVIIe siècle, trois retables en bois furent installés, celui du chœur dévolu à saint Loup et sainte Marguerite, ceux de la nef consacrés à la sainte Famille et aux saints Laurent et Barthélemy. En 1783, le registre des BMS indique que pour 2 500 livres, sous la conduite de l’entrepreneur Gouarin et grâce aux paroissiens qui fournirent charroi, bois de charpente et main d’œuvre, l’église fut agrandie de 11 pieds vers l’ouest, afin d’établir un petit clocher dont l’eglise n’avoit jamais été decorée. La dernière modification d’importance, entre 1866 et 1868, concerne le décor intérieur de peintures murales, dorures et boiseries, dont l’auteur demeure anonyme : François Lemoine, maire du moment, concluait fièrement que nous avons fait de l’intérieur presqu’un petit bijou.
L’église a été inscrite au titre des Monuments historiques le 11 mai 2009 « en raison de la qualité d’ensemble de l’édifice et de ses dispositions romanes en particulier ». Un sondage archéologique permettrait vraisemblablement d’y mettre au jour une stratigraphie échelonnée de l’Antiquité aux Temps modernes, certes perturbée par les 297 sépultures aménagées entre 1634 et 1785 d’après les registres de sépultures.
Les châteaux
La seigneurie du Lou relevait de celle de Montauban depuis au moins septembre 1314, mais ce n’est qu’en avril 1329, selon un acte retranscrit en 1779, qu’apparaît pour la première fois le nom du tenant de ce lieu, Éon de Méel. Ce personnage possédait alors, apparemment à faible distance de l’église, un hotel, terme désignant plus un manoir qu’une motte, alors probablement tombée en désuétude. Plusieurs éminences de terre étaient relativement proches de l’actuel château. Il faut éliminer celle située en La Chapelle-du-Lou à 1 100 m au nord-est de l’église du Lou, détruite en 1987, dite Butte du Château-Gaillard en 1756, mais également, par la carte de Cassini, La Motte Boutier : selon Michel Brand’honneur, il s’agissait là d’une possession, de la famille de ce nom installée dès le début du XIIe siècle en bordure de la foresta de Tanouarn, en Tinténiac. Une autre motte subsistante, bien qu’entamée par les travaux de la carrière liée au lac, se voit à 200 mètres au sud-ouest de l’église du Lou, entourée d’un petit fossé qui la sépare de sa basse-cour. Une vue aérienne prise à haute altitude par l’IGN le 28 mars 1991 y montre une structure rectangulaire délimitée par des fossés (19 mètres sur 16 mètres) : s’agirait-il d’une maison-forte du bas Moyen Âge, succédant à la motte des Méel ?
Olivier de Méel, capitaine de La Gravelle, fut décapité à Vannes le 8 juin 1451 pour avoir trempé dans l’assassinat de Gilles de Bretagne. Une certaine Jeanne « Le Meil » ou « de Vieil », dont on ne connaît pas exactement sa parenté avec lui, épousa (sous la contrainte ?) Arthur de La Lande, successeur de son père Macé comme gouverneur de La Gravelle. La dynastie des de La Lande posséda la seigneurie jusqu’en 1726. Jacques de La Lande et son épouse Geneviève de La Chapelle, dame de Trégomain (terre noble de La Chapelle-du-Lou), furent en 1571 les auteurs d’un vaste programme architectural comprenant un château implanté dans une enceinte quadrangulaire délimitée par des douves maçonnées et marquée à chaque angle d’une tour circulaire. Seule subsiste actuellement celle du sud-ouest, la tour sud-est ayant été largement détruite au cours du XXe siècle ; le vieux château lui-même fut abattu en 1877, probablement faute d’entretien. Il est connu essentiellement par un lavis de F. Lorin de Branbuan réalisé dans les années 1823-1828 (fig. 4) : sa datation est fournie, à défaut de sources documentaires, par un bloc de granite portant un écu aux armes des familles de La Lande, Trégomain, La Moussaye et Méel, portant la date 1571.
Florent de La Lande et Jacquemine du Breil de Pontbriand (famille originaire de Pleurtuit) furent, en 1657 (date inscrite au-dessus du perron, corroborée par un écu écartelé aux armes des du Breil de Pontbriand, de La Lande et de Trégomain), les maîtres d’ouvrage d’un nouveau bâtiment. Son maître d’œuvre fut Vincent Barleuf, prieur de l’abbaye génovéfaine Saint-Jacques de Montfort, simultanément l’auteur des châteaux du Plessis Botherel en La Chapelle-du-Lou (1655) et de La Perronnaye en Romillé (1653) ; celui-ci fut édifié par Jean de Saint-Gilles et son épouse Renée du Breil de Pontbriand, sœur de Jacquemine. Chacune des sœurs avait reçu en dot 30 000 livres, permettant le financement des trois quarts de la construction, par comparaison avec l’estimation de 40 000 livres pour Le Plessis Botherel. Comme pour ce dernier, il avait fallu tenir compte de l’existence d’un bâtiment du XVIe siècle, peut-être dans l’attente de revenus autorisant une unification du bâti, qui ne fut jamais réalisée.
Le château de 1657, au plan en L, se décompose horizontalement en quatre niveaux, tout d’abord celui de soubassement, comportant les cuisines et diverses caves, dont l’une à usage d’habitation. Desservie par le perron en fer à cheval, la grande salle donne sur un salon installé dans le pavillon nord, lequel contient également des espaces privatifs, chambre et latrines doubles ; un escalier à vis en bois conduit de cet endroit aux caves. Cependant, la principale circulation verticale s’effectue par un escalier rampe sur rampe menant des caves jusqu’au grenier, via le premier étage, occupé par quatre chambres. Celles-ci abritaient des personnes de statuts sociaux divers, révélés par une variation du degré de confort, avec ou sans cheminée ou accès à des latrines simples. Au-dessus de ces dernières, un étroit escalier dessert une petite pièce dont le plafond, étanchéifié par des joints de terre, émerge dans le haut volume du grenier éclairé par des lucarnes passantes : il s’agit probablement d’un chartrier, un local destiné à abriter des archives. À quelques détails près, notamment des embrasures de tir pour des armes à feu de petit calibre, l’ensemble du bâtiment, tant par son plan, son élévation que sa plastique ornementale restreinte (bossage de l’entrée, corniche), dénote l’influence du palais du parlement de Bretagne, monument phare de l’époque imité dans nombre de réalisations bretonnes.
Deux documents graphiques exécutés vers 1782, le Plan topographiques des terres du Plessix Botherel, et des environs, pour servir à l’intelligence du procès, d’entre Monsieur de Botherel, et de Monsieur du Lou[2] et le Plan de la Forest de Mautauban[3], ainsi que le cadastre de 1835, permettent de reconstituer partiellement le paysage contemporain du château du XVIIe siècle. Les douves et au moins quatre piliers délimitaient l’espace bâti, accessible par l’est grâce à une rabine longue d’au moins 900 mètres ; y étaient accolés un colombier de plan octogonal proche d’un puits. Un probable jardin à la française semblait exister dans la parcelle sise entre l’église et le lac, avec deux allées arborées et une haie pourvue d’une niche semi-circulaire. Le pré jouxtant immédiatement au nord le château servait à l’assemblée et foire du Lou, aux jours S. Laurans et S. Barthelemy. Enfin, un moulin fonctionnait, au moins épisodiquement, sur l’exutoire du lac. Tous ces aménagements sont mentionnés dans un aveu du 26 mars 1681 rendu par Anne de Rohan, dame de Montauban, la maison du Lou, H. J. [haute justice], logis, estang, douves, bois, moulin, rabines, mottes, colombiers, garennes.
Renée-Geneviève de La Lande vendit en 1726 la châtellenie à Guy-Pierre Aubert, issu d’une famille rennaise de roturiers anoblis en 1690. Le château fut vendu après la Révolution, à une date indéterminée, à une famille Boulanger qui n’y habitait pas à l’époque du « collège du Lou », premier séminaire du diocèse de Rennes après le Concordat qui s’installa au Lou-du-Lac entre 1802 et 1810. Une carence des sources documentaires empêche de déterminer exactement comment le château passa entre les mains de la famille de Lorgeril, entre 1825 et 1834 ; par mariage, les Freslon de La Freslonnière possédèrent le château de 1841 à 1924. Cette année-là, les propriétés issues de la seigneurie d’Ancien Régime, jusque là restées intactes, furent disloquées, l’étang et la tour subsistante allant à la famille Guyard, le château et quelques terres à la famille Berthier. Celle-ci, qui y abrita une auberge de jeunesse de 1936 à la Seconde Guerre mondiale, ainsi que des locataires et des vacanciers, vécut essentiellement des revenus d’une forge construite avec des matériaux de récupération à l’emplacement du château de 1571, ainsi que de l’épicerie et du débit de boissons installés dans la grande salle du château de 1657. L’arrêt de cette activité, en 2014, marque la fin d’une époque pittoresque, mais une résurrection est possible ! Ce fut le cas, fugacement, le temps d’un congrès de la SHAB…
[1] À notre article de 2003 (Guigon, Philippe, Lecrocq, Raymond et Turgis, Dominique, « Les châteaux retrouvés du Lou-du-Lac », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, t. CVII, 2003, p. 99-144), il convient d’ajouter trois contributions plus récentes : Vallerie, Erwan, « Le Lou-du-Lac et La Chapelle-du-Lou », dans Bernard Merdrignac, Hervé Bihan et Gildas Buron (dir.), À travers les îles celtiques. A dreuz an inizi keltiek. Per insulas scotticas. Mélanges en mémoire de Gwénaël Le Duc, Britannia monastica, n° 12, Klask, 2008, p. 335-340 ; Blot, Roger, « Église Saint-Loup du Lou-du-Lac », Église en Ille-et-Vilaine, n° 245, septembre 2013, p. 28-29 ; Delaune, Karine, Gervais, Chrystèle, Guigon, Philippe et Leseignoux, Soazig, Marie du Lou. Mémoires d’un château du peuple, Combourg, Atimco, 2013.
[2] Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Eb 69.
[3] Plan restauré et conservé au château de Montauban-de-Bretagne.
5 septembre 2015 – Le congrès de la SHAB au Lou